Les Gorges de Fang

Je t'ai pondu ça, au ski ... Si tu n'en veux pas, je l'effacerais =)



Vincka s’arrêta et laissa son regard errer sur le campement que les membres de la tribu achevaient de monter. Le vent chaud lui brûlait la peau du visage et elle remonta son foulard sombre jusqu’au bas de ses yeux. Elle avait repéré le shaman mais hésitait à aller le voir. Sa mauvaise réputation la retenait même si elle pressentait qu’il était la seule solution à ses problèmes.
Elle s’aprocha donc d’un pas résolu, souriant au passage à ses plus proches connaissances.
Les gens allaient sûrement raconter des tas de ragots en la voyant parler à l’étrange jeune homme mais, pour l’instant, c’était le cadet de ses soucis. Par ailleurs, Vincka s’était toujours plus ou moins méfiée des racontards.
Enfin, elle fut à sa hauteur. Il semblait comme en transe et la jeune fille n’osa pas l’interrompre, attendant prudemment la fin de la cérémonie. Enfin, elle eut l’impression qu’il avait finit. Elle attendit encore quelques secondes avant de surmonter son apréhension. Elle ne pouvait attendre plus longtemps … Cependant, elle évita de croiser son étrange regard …

« Maël … »

Bien sûr, elle connaissait son prénom. Comme tous les autres enfants, elle avait pluus ou moins traîné avec lui, du moins, à un moment donné. Et puis, il était plutôt connu … Et, avant qu’il ne s’éloigne, elle avait des souvenirs de lui plutôt bons. Ou bien était-ce eux qui l’avait éloigné . Tout à coup, sa mémoire lui faisait défaut et elle n’était plus très sûre. Il faisait parti de la tribu donc de son paysage et elle ne s’était jamais vraiment posé de questions avant d’avoir besoin de lui. Priant pour qu’il ne soit pas rancunier si elle lui avait fait du tort, elle répondit à son regard interrogateur.

« Tu es peut-être au courant mais … Ma petite sœur est malade et euh … Le guérisseur ne parvient pas à la guérir … j’ai pensé que … tu serais peut-être plus … efficace. »

Soudain, elle n’était plus si sûre d’elle-même et l’hésitation perçait dans sa voix. Pourtant, sur le coup, elle était déterminée et certaine de prendre la bonne décision.
Mais elle devait quand même essayer …

« Ce sont ces yeux … Elle a souvent des malaises. Sa tête lui tourne … Et puis elle dit qu’il y a un brouillard qui voile le monde … Et des tâches noires qui gênent son regard … Alors, elle panique … Je ne sais pas quoi faire ! »

Avant de se lancer à l’attaque, elle avait prévu plusieurs stratégies : sourire enjôleur, clin d’œil charmeur, … Elle se savait plutôt jolie avec ses cheveux blonds mi-longs qui traînaient sur ses épaules et ses grands yeux gris mangés par des cils immenses. Alors, elle avait espéré que le jeune shaman ne serait pas insensible à son charme …
Mais, une fois sur place, seule l’angoisse lui tenait compagnie et plissait son front de rides soucieuses.

Elle n’était pas naïve. Sa sœur était atteinte d’un mal inconnu et grave. Il y avait beaucoup de chance pour qu’elle ne s’en sorte pas …
Rien n’avait marché alors pourquoi Maël y pourrait-il quelque chose ? ! Etait-elle seulement certaine que son pouvoir était réel ? ! Bien sûr, elle était persuadée que la nature était empreinte d’une voix divine et que l’ordre du monde n’était pas une simple notion. Elle croyait en cette entité supérieure, ce tout qui avait remplacé le rien et donné la vie à chaque chose. Mais le jeune shaman pourrait-il guérir sa sœur ? !
Mais Vincka n’abandonnerait pas. Pas tant qu’elle n’avait pas TOUT essayer. Mais, malheureusement, Maël paraissait être son dernier recours …
Aussi plaçait-elle tout ses espoirs en lui. Et sa confiance aussi. Il avait vécu ce qu’elle vivait. Il ne pouvait pas l’abandonner, pas lui ! Ses yeux suppliants se posèrent sur le jeune homme, inconscient de la pression qu’ils plaçaient ainsi sur ses épaules …

Vincka remarqua avec plaisir que le jeune shaman se souvenait de son prénom et cette pensée la rassura. Il avait l’air plus humain … Et gentil. Jamais il ne pourrait refuser de l’aider !
Du moins essayait-elle se s’en convaincre …

Il l’écouta décrire les symptômes de sa sœur et cette attention la remplit de confiance.
Aussi sa réponse la heurta-t-elle de plein fouet. Bien sûr … Il ne lui avait jamais rien promis et elle s’était encore emballée trop vite ! Le ton n’était pas agressif mais Vincka ne put retenir un regard ambigu.
Une fois encore les larmes montèrent mais elle les ravala et détourna légèrement la tête de façon à avoir le vent de face. Les grains de sable mieux que n’importe quoi expliquaient les yeux humides.

Son espoir ressurgit quand il traversa le camp jusqu’à la tente que le grand frère de Vincka venait de monter. Leurs parents étaient morts et ils vivaient tous trois avec leur grand-mère. Elle entra à sa suite et la chaleur étouffante et l’étrange odeur qui planait la firent suffoquer. Sa sœur gisait, sur une natte, tremblante. La lourde couverture avait été légèrement repoussé par l’enfant endormie. Heureusement, dans le noir, on ne pouvait voir les larmes …
L’état de sa sœur semblait empirer sans arrêt. Certes, elle avait toujours son visage d’ange mais elle perdait peu à peu sa gaieté. La fatigue la submergeait et elle avait cessé de parler.

Vincka prit alors conscience que Maël lui parlait et son esprit reconstitua lentement la question.
Sa voix était légèrement brisée quand elle répondit mais elle se maîtrisa très vite. La vie n’avait jamais été facile pour son peuple et elle n’allait pas commencer maintenant à se laisser aller !
« Je … Je ne sais pas trop. Au début, elle n’en parlait pas. Dès qu’elle se sentait mal, elle s’éloignait et restait seule le temps que la crise passe. Mais, un jour, je l’ai surprise et elle a décidé de m’en parler. Tu sais, Melly essaie toujours de cacher ce qui va mal. C’était il y a un moi environ … Mais ça s’est empiré … »

Sa voix se cassa à nouveau et elle n’ajouta rien. Elle se mordit violemment la lèvre et se retira dans le coin le plus sombre de la pièce. On avait déposé une lampe près de la couche pour que le jeune homme puisse y voir quelque chose mais le coin opposé était plongé dans le noir et Vincka s’y agenouilla en serrant les poings.

La réflexion de Maël accentua sa peur et sa douleur et elle ne put retenir un reniflement. Elle plaqua une main sur sa bouche pour empêcher le moindre sanglot de franchir ses lèvres puis se mit à respirer calmement, par le ventre. Au bout d’un instant, elle se sentit suffisamment calme pour répondre.

« Elle … Au début, elle se plaignait juste de mal de tête. Et puis, parfois, elle saignait du nez. Mais ça, elle le faisait beaucoup quand elle était petite … Donc, ce n’est peut-être rien … Puis ces yeux ont commencés … Elle se réveillait la nuit parce qu’elle avait mal. Mais, quand on regardait, il n’y avait rien … Et puis, les tâches sont apparues. Parfois, elle ferme les yeux et, en les rouvrant, elle poussa un grand cri. Elle dit que c’est tout noir, qu’elle n’y voit rien. Mais ses yeux sont comme avant … »

Cet exercice de mémoire avait le mérite de lui changer les idées. Même si c’était toujours le même sujet, elle ne voyait plus le visage de sa sœur et parler du mal lui servait d’échappatoire …

« En fait, cela doit remonter à peu près au moment où cet étrange marchand est arrivé … Celui qui venait du complexe … Tu te rappelles ? ! Il avait invité Melly dans sa tente … Enfin, c’est stupide ! Elle n’est pas la seule à lui avoir parler. Je dois me faire des idées … Il m’avait juste parut étrange. »

Elle se retourna vers Maël. Ses yeux étaient à présent secs mais on sentait toujours comme une tension sur ses traits fatigués.